Saviez-vous que le punk britannique aura fêté ses 40 ans en 2016 ? J'ai lu ça l'autre jour. J'en ai ensuite fait un exposé avec une camarade de classe pour mon cours d'anglais. Et puis, je me suis dit, pourquoi ne pas vous en parler ici ? Alors aujourd'hui, parlons punk ! Je vais vous retracer l'histoire et les moments les plus marquants de ce mouvement. On va également parler mode, et musique, bien entendu ! Ce texte et ses informations sont basées sur le roman "Je hais l'amour véritable", écrit par L. Schaack, aux éditions Backstage.
"Punk", un mot sorti du caniveau
Le mot "punk" vient de la rue. Il désigne à l'origine une chose inutile ou dénuée de valeur, et signifie plus ou moins "vaurien" ou "voyou". Au début des années 1970, il commence à être utilisé comme clin d’œil dans les magazines musicaux américains.
C'est en janvier 1976, lorsque paraît à New York le premier numéro d'un fanzine de quatre pages fièrement baptisé "Punk", que le mot prend une nouvelle dimension. On y parle des musiciens que les étudiants entendent au CBGB's, célèbre club new-yorkais : les Ramones, les Voidoids, Patti Smith, Blondie, Television, etc. Cette nouvelle musique se cherchait alors un nom, qui sera "punk" : une seule syllabe qui claque comme un slogan.
Le mouvement est donc indéniablement né aux Etats-Unis, sous l'influence de groupes comme les Stooges, les MC5, les Velvet Underground et les New York Dolls, parmi d'autres. De passage aux USA en 1976, le futur manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, s'inspire de toutes ces bonnes idées pour créer à Londres ce qui deviendra le punk britannique.
Le punk se caractérise par des rythmiques très rapides et des morceaux très courts et énergiques. Le son est rêche, dur, avec des guitares distordues et des chanteurs qui hurlent des refrains en forme de slogans rageurs. Peu importe la qualité ou le professionnalisme. L'important est d'aller à contre-courant du rock des années 70, qui s'est embourbé dans les rêves nombrilistes des hippies. La jeunesse punk revendique avec fougue son amateurisme, son énergie rebelle, et elle s'autorise à réaliser ses envies. Pour choquer la vieille génération hippie et bourgeoise, les provocations vestimentaires et langagières sont de rigueur. Pour mieux balayer le passé, on cultive le laid et le vulgaire, on revendique l'anarchie et le chaos.
Les médias et le punk : la tumultueuse Love/Hate story
Le punk est le premier mouvement musical à entretenir des relations aussi intimes et sulfureuses avec les médias. C'est bien le passage éclair des Sex Pistols à la télévision britannique en décembre 1976, à une heure de grande écoute, qui va les propulser à la une des tabloïds, puis de la presse traditionnelle, passablement horrifiée par cette jeunesse décadente. Malcolm McLaren, le manager des Sex Pistols, cultive le scandale pour parvenir à la notoriété, en véritable professionnel de la communication.
Le bassiste des Sex Pistols par Nick Kent
Dans son livre The Dark Stuff, (éditions naïve, 2006), Nick Kent, le critique musical anglais, brosse une vingtaine de portraits dédiés à différentes icônes du rock, parmi lesquels "Sid Vicious: autodestruction d'un crétin". Selon le journaliste, attaqué par Vicious en septembre 1976 pendant un concert dans un club de Londres, cette "sorte d'Action Man du punk anglais" fut "un quart des Sex Pistols (au mieux, l'équivalent musical d'un accident de voiture), mais sa dextérité à la basse évoquait celle d'un unijambiste à un concours de coup de pied au cul".
Les racines de deux tubes
Et maintenant, parlons musique ! Il y a tant d'exemples que ce fut difficile d'en choisir deux, mais les voici.
Commençons par "White Riot", par The Clash. Sans quelques clés de lecture, cette "émeute blanche" composée en 1976 a pu passer pour un hymne raciste, et non pour ce "cri admiratif de solidarité et de sympathie avec les Noirs de Notting Hill Gate", comme l'écrit Jon Savage dans England's Dreaming. A l'origine de la chanson, la présence de Joe Strummer, Paul Simonon et Bernie Rhodes, leur manager, sur Portobello Road en août 1976, pendant le carnaval jamaïcain. Une descente de police dégénère en bataille rangée, et embrase tout le quartier de Notting Hill.
Strummer écrit le soir même les paroles de la chanson, pour appeler à leur tour les jeunes Blancs à trouver une cause valable à leur révolte. Les Noirs du Royaume-Uni en avaient déjà une, puisque "la police exerçait une énorme pression sur leur communauté", expliqua Joe Strummer par la suite. Le titre se clôt sur un couplet positif: "Est-ce que tu reçois des ordres/Ou bien est-ce que tu passes au-dessus?/Est-ce que tu recules?/Ou bien vas de l'avant?". La face B du single anglais était "1977", une autre chanson-manifeste proclamant: "No Elvis, Beatles or The Rolling Stones in 1977"...
Je vous propose d'écouter ce titre qui m'a valu bien des hochements de tête incontrôlés pendant mes voyage en transports... à vous de juger !
Un autre morceau qui a fait l'histoire du punk de la première génération est sans aucun doute "God Save the Queen", par les Sex Pistols. Ce single sort le 27 mai 1977, soit une semaine avant le grand week-end de fête organisé pour le jubilé d'argent (25 ans de règne) de la reine d'Angleterre. Et il fait autant de bruit qu'une bombe de l'IRA.
Cette chanson, déjà jouée en concert, s'appelait "No Future" avant la sortie du single. McLaren change le titre pour des questions d'impact médiatique, malgré l'opposition de Johnny Rotten, le chanteur du groupe. Les paroles ont de quoi donner de l'urticaire aux patriotes anglais. Elles prédisent la mort de l'Angleterre, tout en affirmant l'état calamiteux de son présent: "Dieu sauve la Reine/Et son régime fasciste [...]/Dieu sauve votre parade dérisoire [...]/ Il n'y a pas d'avenir/Dans le rêve de l'Angleterre [...]/Pas d'avenir pour toi [...]/Pas d'avenir pour moi [...]/Pas d'avenir pour vous".
"No Future", le slogan punk ultime, s'adresse bien à la monarchie britannique... ce sursaut d'une jeunesse radicale envoyant valser les certitudes de ses aînés sur fond de crise et de chômage galopant s'écoule à 200 000 exemplaires en quelques semaines. Le single aurait dû être n°1 des ventes si l'industrie du disque n'avait truqué les comptes...
Mais revenons dans le vif du sujet, et écoutons cette merveille tout en cri et en distorsion.
L'histoire d'une provocation à la croix gammée
Les punks sont-ils racistes ? On serait tenté de répondre non tout de suite en citant la foule des groupes punk présents au grand concert "Rock Against Racism" organisé à Londres en 1978 avec la Ligue anti-nazi. Mais, à cette époque où les théories racistes du National Front font de beaux scores aux élections, l'apparition de la croix gammée, la svastika, dans la panoplie punk a fait frémir plus d'un Britannique. L'objectif, bien sûr, est d'abord de choquer. Choquer les patriotes, et ils sont nombreux en Grande-Bretagne de 1976 à vivre encore dans le souvenir de l'après-guerre, accrochés à leur image héroïque de vainqueurs des nazis. Mais choquer aussi les sympathisants du communisme en associant la croix gammée au portrait de Karl Marx, comme le fait Vivienne Westwood sur ses t-shirts dans sa boutique londonienne, "SEX". Une façon comme un autre de proclamer que "droite, gauche, mêmes foutaises".
Reste que les punks ont souvent été confondus avec les bonesheads (à ne pas confondre avec les skinheads), une mouvance apparue à la fin des années 60 qui se caractérise par son goût pour le foot, la bière et la baston. Comme les punks, les bonesheads revendiquent une origine prolétaire, portent des Doc Martens et affectionnent les blousons Harrington avec doublure intérieure à carreaux. Comme les punks, ils raffolent du reggae. Ce qui ne les empêche pas de tabasser volontiers les immigrés et de professer un nationalisme qui flirte avec la xénophobie. Tandis que les punks rejettent le racisme par tous les pores.
Et machistes ? Des deux côtés de l'Atlantique, les filles sont au premier rang du mouvement et montent sur scène à totale égalité avec les garçons. Encore une petite révolution dans le milieu "viril" du rock, où les filles sont traditionnellement des groupies qui attendent la fin des concerts pour satisfaire les appétits sexuels des guitar heroes...
Le féminisme à la sauce punk balaye les critères traditionnels de beauté, avec des tenues provocantes portées par les plus grandes icônes féminines du punk. On se souviendra de Patti Smith, exhibant ses aisselles poilues sur la pochette d'Easter en 1978.
Do It Yourself, le slogan punk par excellence
Raccourci en DIY, le "Do It Yourself" (fais-le toi-même) est bien plus qu'un slogan punk. Principe de base du mouvement et seule éthique revendiquée, le DIY représente une véritable volonté "politique" de marquer son indépendance et sa totale liberté vis-à-vis de l'industrie du disque et des grands circuits commerciaux en général. Si vous ne trouvez pas votre place, ni les moyens d'exister, prenez-vous en main !
Dès lors, la mode s'invente dans les boutiques d'occasion, la musique se bâtit avec trois accords en revendiquant son amateurisme, les fanzines ronéotypés ou photocopiées comme Sniffin' Glue, Sideburns, Situation Free, London Burnin, pullulent, les graphistes se moquent des canons de l'esthétique, les concerts s'organisent dans des squats ou en louant des salles, les premiers labels indépendants voient le jour... Toute une activité qui grandit à l'écart du business de la musique et qui montre l'exemple pour les générations à venir.
En décembre 1976, le fanzine anglais Sniffin Glue publie en couverture le dessin de trois
accords de guitare: un La, un Mi et un Sol, ainsi légendé "Voilà un accord, en voilà un autre, et en voilà un troisième. Maintenant, monte ton groupe !". Un conseil suivi à la lettre par des milliers de punks en herbe, dont les Buzzcocks, qui sortent depuis Manchester leur premier single à mille exemplaires sur leur label New Hormones.
Le punk et la mode, du stéréotype aux symboles incontournables
La mode punk fait l'objet de beaucoup de clichés, et les petits éléments sont souvent bien mieux acceptés aujourd'hui. En 2019, il n'est pas rare de croiser de vrais punks dans les rues des grandes villes, et même s'ils inspirent parfois encore une certaine crainte, ils restent les héritiers d'un symbole de la pop culture.
Parmi ces éléments remarquables dans la panoplie du punk, on retrouve l'épingle à nourrice. Symbole à la fois décadent et piquant, ce petit objet fleurit très tôt sur les vestes lacérées, les pulls déchirés, les pantalons rafistolés... Dès 1974, elle est repérée à Cleveland, chez les pré-punks d'Electric Eels, puis à New York sur la veste du chanteur Richard Hell, dont la garde-robe a été saccagée par une petite amie en colère.
L'épingle à nourrice traverse l'Atlantique, et le jeune britannique Johnny Rotten, futur chanteur des Sex Pistols, l'exhibe à son tour en 1976. L'ustensile est alors récupéré par la styliste Vivienne Westwood, pour ses créations dans son magasin SEX.
Après 1978, la seconde génération punk s'approprie ce prêt-à-porter fait maison et commence à l'utiliser pour de douloureux piercings dans la joue ou le nez... une pratique globalement condamnée par les punks de la première heure qui n'hésitent pas à la qualifier de "ridicule".
Plus récemment, la styliste Zandra Rhodes a intégré l'épingle à nourrice aux robes de sa collection punk chic "à prix élevé", version diamant. La maison de luxe Dolce & Gabbana propose aujourd'hui une réplique du t-shirt des Sex Pistols avec une épingle à nourrice en or. Punks fauchés, s'abstenir...
On retrouve ensuite le mohawk, ou la crête des Mohicans. Elle est adoptée à Londres vers
1975 par une compagnie de brigands qui terrifient la ville pendant une dizaine d'années. La crête fait partie de la métamorphose de Travis Bickle dans le film de Martin Scorsese "Taxi Driver", en 1976. Les punks de la deuxième génération s'en souviendront, et à une époque où les gels fixant n'existaient pas, ils n'hésitent pas à sculpter leur coiffure avec de la colle, du savon ou encore du blanc d’œuf... A la fin des années 70, les têtes de hérissons, les pics ou spikes, atteignent des hauteurs vertigineuses.
Les mandinkans, soit iroquoises à l'africaine, ou
les crêtes noires, roses ou vertes deviennent une véritable attraction de Sloane Square. Ainsi qu'un moyen de subsistance, puisque les touristes ravis vont jusqu'à distribuer quelques pennies pour avoir le droit de photographier les mohawks les plus extravagants. Mon frangin n'a pas hésité à sauter le pas il y a deux ans d'ailleurs, voyez plutôt cette beauté !
En ce qui concerne les chaussures, il y a du choix. A côté des classiques de l'élégance punk comme le perfecto, la chemise à manches très longues, ou les pulls mohair informes portés comme des serpillières, les chaussures ont véritablement marqué le mouvement.
Les désormais archi connues Doc Martens, conçues d'abord comme chaussures orthopédiques puis comme chaussures de sécurité pour les travaux de chantier, sont adoptées par l'ensemble des communautés punks et skinheads.
On retrouve ensuite les petites reines du punk, ls baskets Converses, modèle "Chuck Taylor All Star" en toile noire, portée initialement par les Teddy Boys aux Etats-Unis. Elles sont concurrencées par les modèles bons marchés Keds, popularisées par les Ramones sur la pochette de leur premier album en 1976.
Les Creepers, portées à l'origine par les Rockabilly dans les années 50, sont remises au goût du jour par Malcolm McLaren dans sa première boutique londonienne, Let It Rock.
Les bottes de motards en cuir modèle Harley Davidson sont également une référence de la culture punk, au grand désespoir des Hell's Angels, qui n'aiment pas qu'on leur marche sur les pieds... Enfin, les boots anglaises à talons Anello & Davide, chères aux Beatles dans les sixties, reprennent vie avec le punk, notamment en France, pays des punks dandys.
La fin des Sex Pistols
Comme souvent dans l'histoire du rock, la trajectoire des Sex Pistols s'achève dans le délabrement et l'inimité. Le bassiste, Glen Matlock, débarqué du groupe en février 1977, est remplacé aussitôt par un ami du chanteur Johnny Rotten, Sid Vicious, dont les capacités musicales sont proches de zéro. Mais Sid a le look et l'attitude. Pour son plus grand malheur, il tombe amoureux de l'américaine Nancy Spungen, une junkie passablement névrosée débarquée à Londres pour retrouver les Heartbreakers.
L'album "Never Mind the Bollocks" grimpe dans les classements et la pression sur le groupe (et particulièrement sur Johnny Rotten) est énorme. En janvier 1978, le groupe s'envole pour une tournée aux Etats-Unis. La tension est à son comble. Rotten se brouille avec McLaren et quitte le groupe sans un sou en poche, le 14 janvier, après un concert au Winterland de San Fransisco.
Le corps de Nancy Spungen est retrouvé poignardé le 12 octobre 1978 au Chelsea Hotel, à New York. Inculpé, Sid Vicious fait un tour en prison avant d'être relâché contre une caution de 50 000 dollars, payée par Malcolm McLaren. Sid succombe à une overdose quelques jours plus tard.
Selon la légende, ses cendres furent renversées accidentellement par sa mère sur le sol de l'aéroport d'Heathrow, pour finir dans la serpillière d'un agent de nettoyage...
Et si vous êtes curieux d'en savoir plus, sachez qu'un film a été réalisé sur l'histoire sulfureuse du groupe et du couple en particulier, en 1986. Il s'appelle "Sid & Nancy", et c'est Gary Oldman qui incarne à la perfection le bassiste Sid Vicious ! Rien que ça !
Punk is (not) dead ?
L'idée même de vieillir, de s'installer dans quelque chose de confortable, d'être reconnu et apprécié, est incompatible avec la radicalité, l'urgence, l'intensité du punk. Quand on veut aller vite, fort, et de préférence dans le mur, on a peu de chance de faire un long chemin. Et nombreux sont les puristes et les fans à estimer que le mouvement punk est mort en même temps que les Sex Pistols en 1978. Ce qui signifie qu'il aurait duré à peine un an et demi.
Pourtant, dans les mois qui suivent, un mouvement "Punk's not dead" prend ses quartiers dans les squats d'Angleterre. L'uniforme "crête iroquoise-épingle de nourrice dans le nez" fait son apparition, la bière tiède et les amphétamines sont à la base du menu, et la bande sonore rassemble Sham 69, Cockney Rejects, puis Crass, Exploited et UK Subs. Au ras du bitume, le "punk à chien", plus proche du sans-abri traînant avec son fidèle berger allemand que du troubadour, naît de ce nouveau conformisme.
Aux Etats-Unis, le punk essaime dans différents sous-genres musicaux (skate punk, hardcore, trash metal, metal core, emo core, queercore...). Après lui, tout le rock alternatif se débrouille pour exister en dehors des circuits commerciaux, jusqu'au succès planétaire du grunge avec Nirvana dans les années 1990.
Quoiqu'il en soit, le punk a laissé une empreinte au-delà des bacs à disques et des boutiques de mode. Avec ses séries de négation ("no feelings, no fun, no future") et son affirmation principale ("do it yourself"), il a soufflé un esprit de liberté indélébile. Et partout dans le monde, il reste un symbole de radicalisme et de rébellion, d'un culte du présent à vivre intensément et de la volonté de se prendre en main pour bâtir sa vie et faire exister ses projets.
J'espère que ce petit historique vous aura plu ! En attendant, je vous propose d'écouter quelque chose de plus actuel dans le même genre... car Sum 41 vient de sortir leur tout dernier single, "Out for Blood" ! Un morceau en prévision de leur premier album en trois ans, intitulé "Order In Decline", et qui sera comme promis par le groupe, "le plus lourd et le plus agressif de tous les temps". Il sortira le 19 juillet 2019, alors surveillez votre disquaire préféré !
Et vous, que pensez-vous du punk ? Êtes-vous un véritable adepte, ou est-ce plutôt une source d'inspiration vestimentaire ? N'hésitez pas à donner vos avis en commentaire !
A bientôt, et gardez la banane !
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